La ferme des Gatien, par Nine

Publié le 28 Juillet 2012

 

Dans la ferme des Gatien, les femmes vaquaient à diverses tâches domestiques. Le mari et les fils étant partis à la ville pour vendre et acheter quelques bêtes sur le grand marché, elles se retrouvaient seules à s’occuper de la propriété. Il se faisait tard et vers le soleil couchant rampaient insidieusement de noirs nuages. Ce fut à la fin du repas que la tempête commença et fit claquer les volets de bois de la cuisine. La mère se leva pour les fermer et regarda sans grande attention au dehors. Elle écarquilla soudain les yeux, surprise par ce qu'elle voyait. Elle avança alors son visage prés des carreaux pris d’assaut par un voile vaporeux et les essuya vivement. Un homme, tête couverte mais laissant apparaître quelques mèches grises, déplaçait sa grande silhouette du portail à la grange. Derrière lui, il traînait quelque chose qu’elle avait du mal à distinguer.


 -Edith, bloque vite la porte d’entrée ! Cria la mère fébrile.

 -Pourquoi que se passe t-il ? Lui répondit cette dernière étonnée.

 - Ne pause pas de questions, et dépêche-toi donc !


 Une fois l’entrée verrouillée, les trois femmes se retrouvèrent pressées les unes contre les autres à observer la cour. La pluie s’abattait lourdement, tandis que le ciel ne cessait de bourdonner et de se briser. Elles surveillaient ses allées et venues : il semblait tirer des outils sous le hangar. D’un coup un éclair éclata juste au dessus de la ferme, au moment même où  il regardait dans leur direction. Effrayées, elles se reculèrent en sursaut puis se cherchèrent du regard pour un quelconque réconfort. Benjamine qui dans son mouvement s’était retrouvée assise, se releva aussitôt. Comme un aimant, la peur la poussait de nouveau vers la fenêtre. Au bout de quelques secondes, elle s’écria :


 -L’homme a disparu !

 -Tu crois ? Interrogea Edith encore apeurée.

 -Laisse-moi voir, dit sa mère en l’écartant.


 Enfin après un long moment, il fut conclu qu’effectivement l’homme était parti. Bourrasques et orage avaient cessé, mais la pluie continuait à tomber. Il en fut ainsi toute la semaine jusqu'au retour des hommes. Le père Gatien fut tout de suite prévenu qu’un étranger était venu pendant la tempête, dans le but certain de voler du matériel. Aidé de son aîné, il partit vérifier si rien ne manquait. En fait, à  leur grande surprise, ils trouvèrent quelques machines et instruments agricoles rangés à l’abri du hangar alors qu’ils les avaient laissés à l’extérieur. Une petite poutre et quelques chevrons, dont il n’était alors pas sûr de pouvoir se servir à cause de leur taille, étaient aussi disposés contre une  cloison. Ce matériel, la pluie de la semaine l’aurait certainement abîmé en provoquant de la rouille ou en gonflant le bois. Tout était bien là, même quelques petits outils comme les sécateurs ou la hache mis côte à côte sur l’établi. Le soir, assis en bout de table alors que sa femme lui servait des patates et un petit morceau de viande, il annonça que rien n’avait disparu et que certainement l’ayant surpris le bandit était parti bredouille.


 Les semaines passèrent tranquillement dans le pays, où la rumeur sur le fameux rôdeur de la ferme des Gatien eu le temps de se répandre. L’éloignement des fermes par rapport au village, ou tout simplement la mentalité des gens, transformait l’histoire en de multiples versions. On discutait tout au début de ce frelampier venu de nulle part en concluant que parfois la mort n’avait pas faim. Puis on rapportait qu’il s’agissait d’un disparu voir d’un mort vivant. Alors on chuchotait à propos de cette créature venue des enfers. On murmurait  ensuite que ce n’était point des outils mais des âmes qu’il était venu enlever. On marmonnait plus tard sur le caractère de la tempête et l’éclair qui s’était répandu au dessus de la ferme. Et on finissait par se demander pourquoi le mal y avait été attiré. Quelques dames parlaient toutefois de la mère et des deux filles pour leur courage. Quoi qu’il fut dit par toutes ces braves personnes et tous ces « on », rien ne fut en la faveur du vagabond. D’ailleurs pour beaucoup ce n’était point la première fois que cela arrivait : des femmes seules avaient souvent eu affaire à un visiteur étrange et souvent mal intentionné… Suite à cette  affaire, lors  d’orages,  apparaissaient quelques visages féminins collés aux vitres des fenêtres. Parfois, ils s’agissaient d’hommes prêts à prendre leur fusil. Enfin peu à peu, les esprits se préoccupèrent plus des bêtes, des champs et des récoltes.


 Dans une autre exploitation plus au nord, Marie enfermait les brebis dans l’étable aux murs bas et au toit lui arrivant à hauteur de tête. Elle avait pu apercevoir à côté ses deux jeunes enfants s’amusant avec les poules. A l’opposé d’eux, sa mère détendait le linge. Elle pensa alors que c’était une bonne chose car l’atmosphère  devenait  écrasante  et  de  plus  en  plus  chargée  d’humidité et de moiteur. Ne restait qu’à surveiller le vent  car ce ne serait plus un orage à prévoir mais la tempête comme quelques semaines auparavant. Rejoignant la grand-mère, elle lui lança :


 -Tu as pressenti que le temps changeait.

-Oui, et j’ai bien peur que cela se dégrade de façon surprenante. Je me rappelle d’une année ressemblant assez à celle-ci. Nous avions eu plusieurs vagues d’intempéries dont certaine assez violente, dit la vielle femme, en regardant vers le ciel malade.

-Dans ce cas, j’espère que nous n’aurons pas de problème qui nécessite l’aide de nos voisins. La mère Gatien n’apprécie guère de voir une veuve tourner autour de son mari et de ses fils, plaisanta-t-elle.


  De là, les deux femmes rentrèrent en souriant dans la cuisine. Ce fut ensuite le tour des enfants qui commençaient à être fatigués. Comme tous les soirs, Marie s’occupait de leur bain tandis que sa mère préparait le repas. Tout le monde mangeait ensemble dans la cuisine chauffée par un ancien poêle à bois et au charbon. Une fois les enfants mis au lit, les deux femmes restaient à coudre, tricoter ou lire le journal si elles l’avaient acheté. Elles étaient donc tranquilles lorsqu’elles entendirent gronder brusquement le tonnerre. On eu presque dit le premier coup de canon annonçant le début d’une bataille. Les arbres les plus proches tanguaient  dans tous les sens et la pluie s’abattait suivant un mouvement de lame. La tempête s’annonçait plus démente que la dernière. La nuit rendant la visibilité réduite, l’ambiance était lourde comme si la voûte de nuages au dessus des têtes tournait sur elle-même prête à s’effondrer de toute sa masse.


 Affolés par le vacarme des éclairs, Marie était allée réconforter les deux garçonnets dans leur chambre en leur assurant qu’ils ne risquaient  rien. Mais appelée par la grand-mère devenue agitée, elle regagna vite la cuisine.


 -Que se passe-t-il ? Demanda-t-elle essoufflée.

 -Regarde ! Le chêne a été arraché et fait une brèche sur le toit de l’étable ! Fit-elle en pointant son doigt au dehors.

 -Vite donne-moi mon imperméable, s’écria t’elle lorsqu’elle vu l’arbre étalé.


 Une fois son manteau enfilé, elle courut au hangar chercher une bâche et se dirigea à l’intérieur de l’étable pour voir les brebis. Son visage fut vite rougit par le froid et l’averse qui l’avait, en quelques secondes, trempée. Les bêtes s’étaient regroupées dans un coin. Choquées,  aucune ne semblait blessée. Alors elle ressortit pour étendre sa toile sur la partie abîmée du toit  par les branches de l’ancien feuillu. Les rafales et la pluie ne rendaient pas l’exercice facile d’autant qu’elle ne pouvait pas être des deux cotés de la petite bâtisse en même temps. C’est alors que son sang ne fit qu’un tour, la tétanisant. En face, un homme coiffé d’un étrange chapeau noir et vêtu d’un imperméable trempé se tenait là. Il tendait une main dans sa direction, paume vers le ciel.  Immobile, son visage semblait bienveillant et paisible malgré la pluie qui le giflait. Regroupant son énergie, elle comprit qu’il voulait l’aider, sinon il aurait eu tout le temps et la possibilité de s’attaquer à elle. Alors sans plus réfléchir et sans un mot, elle lui balança la moitié de la bâche coinçant l’autre avec des pierres. Et quand elle releva la tête pour constater que tout était en place, l’homme n’était plus là. Elle le chercha, inquiète, parcourant rapidement  la ferme du regard. Elle le vit enfin. Il  était entrain de déposer  quelque chose devant la porte d’entrée. Puis il s’en alla    tranquillement   sans se retourner. Glacée, Marie  regagna les appartements et ramassa l’objet laissé par l’homme. Sa mère qui  avait assisté à toute la scène, l’accueillait avec une grande serviette.


 -Marie, tu vas bien ? Cet homme, que te voulait-il ? Il ne t’a fait aucun mal ? Il est bien parti ?...demandait-elle d’une voix saccadée et inquiète, tout en aidant sa fille à se sécher.

 -Tout va bien, je n’ai rien et il est parti articula-t-elle doucement.

 -J’ai eu si peur quand il est venu vers la porte, j’en ai le cœur qui bat fort encore.

 -Moi aussi maman, mais je crois qu’à présent nous ne risquons plus rien.

 Pendant un petit moment Marie fut frictionnée par sa mère pour être réchauffée. Sa robe ruisselait devant le poêle. Puis, assises toutes les deux, la vieille femme leur servit un petit café.

 -Bois ça va finir de te revigorer.

 Enfin, après avoir vidé sa tasse, tenant la petite couverture sur ses épaules Marie regarda par la fenêtre un court instant et finit par dire :  

 -Regarde, les rafales sont  moins fortes et la foudre moins intense maintenant. Le plus gros de l’orage semble s’être déplacé vers le nord. Essayons d’aller dormir.


 Les deux femmes gagnèrent leur chambre, encore troublées par la soirée. Les sifflements au dehors devenaient de plus en plus rare et le tonnerre grondait encore, mais au loin. Bientôt le silence revint comme si rien n’était arrivé. Marie, allongée sur son lit, avait les larmes aux yeux. Eclairée par sa lampe de chevet, elle regardait l’objet déposé par l’inconnu. Elle finit par sombrer dans un sommeil lourd. La dernière pensée consciente qu’elle prononça du bout des lèvres fut un « est-ce possible ? ».


Le lendemain, l’air était encore tout humide et la brume mis du temps à se lever tout comme le soleil. Après le petit déjeuner, les deux femmes allèrent constater les dégâts.  L’arbre déraciné était étalé le long de la petite étable ce qui avaient certainement limité les dommages. La bâche avait tenue presque miraculeusement piégée par quelques pierres. A l’intérieur les bêtes plutôt calmes attendaient que Marie les sorte à l’extérieur. Elle les dirigea dans l’enclos juste à proximité. Alors seulement, les deux femmes se regardèrent et osèrent aborder les évènements de la veille.


 -Tu crois que c’est la même personne qui est passé chez les Gatien ? Commença la grand-mère.

 -Je n’en sais rien. Par contre sans lui, je n’aurais pu mettre la bâche correctement.

 Elle la regarda droit dans les yeux cette fois ci et continua en ouvrant doucement sa main:

 -Il ne m’a fait aucun mal, et regarde ce qu’il a laissé devant la porte alors que tu pensais qu’il voulait entrer…


 La vieille femme fixa l’objet et s’interrogea :

 -Mais d’où cela sort-il ? Et qu’est-ce que cela veut dire ?

 -C’est la bague de fiançailles de mon mari que je pensais avoir perdu lorsque nous avons du emménager ici à sa mort, il y a deux ans. Il m’avait dit qu’un ange veillait sur nous, et  l’avait inspiré pour me l'offrir en gage de notre amour.


 L’émotion et une certaine incompréhension les gagnaient. Elles regagnèrent la cuisine à nouveau en silence, se tenant par la taille affectueusement comme si de toute façon aucun mot ne pouvait exprimer leur ressenti.


 L’après midi, lors de la visite du père Gatien toujours accompagné de son aîné, elles choisirent de ne rien lui dire à propos du mystérieux homme de la tempête. Le vieux paysan était resté toute la nuit, le fusil à portée de main au cas où. Et lorsqu’il vit le toit, il se demanda bien comment la jeune veuve avait pu seule étendre la toile. Mais il fut vite absorbé sur les travaux à effectuer et le prix qu’il en demanderait grâce en outre à la petite poutre et aux chevrons entreposés par l’étranger et dont il n’aurait pas à faire la commande.


  On pouvait lire quelques jours plus tard, dans un article de la presse régionale, que les parents d’un certain Gatien MARIE-ANGE avaient retrouvé avec soulagement  leur fils. Celui-ci avait disparut de l’asile depuis plus d’un mois. Dans son délire, il prétendait avoir obéi à un ange mais il ne devait rien dire de plus car il avait juré le secret.  



Rédigé par Nine et TeM

Publié dans #divers - dessins...

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C
Je lis cette autre nouvelle qui me coupe la souffle sans trop comprendre le final.<br /> Cet homme inconnu existe t il? Serait ce ce fils disparu?<br /> Je dévore tes lignes et je termine ma lecture avec encore tellement d'interrogations.
Répondre
N
<br /> <br /> C'est un petit peu le but. C'est ce fils disparu. Après où se situe la frontière entre l'explicable et l'inexpicable, c'est aussi la question que je me pose... a chacun de trouver les réponses.<br /> <br /> <br /> <br />